Je veux débuter avant tout par une mise en garde : alors que je pense que plusieurs enjeux contemporains auxquels les jeunes familles sont confrontées peuvent être abordés par l’utilisation d’un beau livre pour enfants, je me méfie que cela devienne l’unique outil pédagogique adopté par bon nombre de Blancs pour lutter contre le racisme. Nous devons tous et toutes aller bien au-delà des clubs de lecture et agir avec courage pour amener notre société ailleurs. Il ne suffit pas d’échanger et d’apprendre. Je crois dans la valeur de l’éducation et je crois que l’éducation contre le racisme, celle qui va au-delà d’un « daltonisme » bien intentionné et de la célébration de la diversité et qui ose nommer véritablement et et s’engager dans la lutte aux inégalités dans notre monde, est essentielle. Je pense qu’il est indispensable d’amorcer des conversations avec les enfants au sujet du racisme et que cela doit se faire avec tous les enfants, quelle que soit leur appartenance raciale, et pas seulement avec celles et ceux qui sont obligés d’y faire face en raison de la couleur de leur peau. En tant que mère blanche privilégiée et intervenante jeunesse, j’ai le choix de discuter des enjeux de racisme et de discrimination avec les jeunes que je côtoie dans ma vie. J’ai le choix de les protéger des mauvaises nouvelles. Les Noirs, les Autochtones et les autres personnes racisées n’ont pas un tel choix. Les familles non blanches ont, par nécessité, l’obligation d’échanger avec leurs enfants pour leur propre protection; elles ne devraient pas être les seules à devoir assumer cette responsabilité. Mes pages de médias sociaux sont remplies d’affichages concernant Black Lives Matter (Les vies noires comptent) et la brutalité policière fait la une de la presse de presque à tous les jours; des discussions à propose de la race, de l’égalité et de l’éducation des enfants s’imposent de façon urgente et incontournable. Malgré les déclarations actuelles de notre gouvernement provincial, le racisme systémique est bel et bien vivant au Québec et au Canada. Les partis pris inconscients existent et le privilège blanc est une réalité. Alors, tout en sachant que la lecture de livres ensemble n’est qu’une étape du chemin à parcourir, je vous propose deux beaux livres pour enfants qui peuvent servir d’outils pour amorcer un échange à la maison, en classe ou dans votre paroisse.
Le premier s’intitule Sulwe (en anglais), écrit par l’actrice kenyane devenue auteure Lupita Nyong’o et illustré par Vashti Harrison. Ce livre raconte l’histoire d’une jeune fille nommée Sulwe dont la peau a la couleur de minuit, alors que le reste de sa famille a une peau semblable au soleil, à l’aube et à d’autres choses éclatantes. Elle fait face aux taquineries et à la discrimination des autres enfants et elle envie les nuances de peau plus claires et plus lumineuses qu’elle voit autour d’elle. Après avoir essayé et échoué à changer la couleur de sa peau, Sulwe entreprend un voyage d’acceptation de soi aidée par l’amour de sa mère. Au moyen d’une belle fable au sujet des sœurs Jour et Nuit, Sulwe se rend compte que sans l’obscurité du ciel, nous ne pouvons voir la luminosité des étoiles, et que son éclat et sa lumière ne proviennent pas de la couleur de sa peau, mais bien de l’intérieur d’elle-même. Les illustrations de Vashti Harrison donnent vie à ce livre au style enrichi de son expérience cinématographique et d’animation. Ce livre est une lecture fascinante et poignante pour une personne blanche, car il montre à quel point le racisme à l’égard des Noirs peut être omniprésent et dommageable, que le colorisme existe au sein d’une communauté de personnes qui s’identifient toutes comme noires. Le colorisme est un préjugé ou une discrimination à l’égard de gens au teint foncé, généralement parmi les personnes du même groupe ethnique ou racial. En lisant ce livre avec des enfants qui ne sont pas noirs, je vois de nombreuses occasions d’échanger sur nos idées de beauté et le respect à accorder aux gens. Il est particulièrement pertinent pour les jeunes enfants qui peuvent constater des différences et les exprimer d’une manière inadéquate en public. Il est important de ne pas avoir honte ou de ne pas reconnaître les différences que les enfants observent chez les gens, mais surtout d’encourager une discussion ouverte de manière positive. Lorsque nous coupons court à un échange sur la noirceur ou la race, nous insinuons qu’une telle conversation est embarrassante, voire honteuse, comme être noir était une mauvaise chose. Ce n’est pas ce que je veux laisser entendre à mes enfants en leur enseignant les réalités du monde.
Le deuxième livre que je vous recommande s’intitule The Proudest Blue (en anglais). Ibtihaj Muhammad, la première femme américano-musulmane à concourir pour les États-Unis aux Jeux olympiques tout en portant un hijab, a écrit ce joli livre. Sur la base de ses propres expériences en tant que jeune fille, Muhammad raconte l’histoire de Faizah et du premier jour du port du hijab de sa sœur aînée Asiya. Avec son nouveau sac à dos et ses chaussures lumineuses, Faizah sait que son premier jour d’école sera spécial. Elle est fière du magnifique foulard bleu de sa sœur, de la même couleur que l’océan qui rencontre le ciel. Lorsqu’elle est témoin des différentes réactions au hijab – la timidité, la curiosité, les mots taquins et les menaces qu’il suscite – Faizah doit faire preuve de courage et s’approprier la force et la fierté qu’elle ressent envers sa culture et cette étape dans la vie de sa sœur. Ce livre m’apparaît une lecture incontournable pour les familles du Québec, où nous entretenons une relation si étrange et déconcertante avec les femmes qui portent le hijab. Dans ce livre, le port du hijab est considéré comme un rite de passage, un symbole de force et d’identité, comme une dimension belle et amicale de la vie des femmes musulmanes. La représentation est importante. Ce livre présente un protagoniste qui ne ressemble pas à mes enfants mais dont ils peuvent néanmoins se sentir proche et auquel s’associer. Ce livre propose un modèle de référence de femme musulmane. C’est précieux. Pour une jeune fille musulmane, ce livre pourrait être l’occasion de se voir en héroïne, dans le personnage principal, et de voir ses propres expériences validées dans un livre magnifique et coloré.
La lecture de divers livres avec des enfants est une étape importante sur le chemin de l’éducation antiraciste, de la parentalité et du ministère des enfants. Nous vivons à une époque de grands changements et d’injustices manifestes, et je pense qu’il est important que les parents utilisent tous les outils à leur disposition. Rester silencieux au sujet du racisme peut être tentant mais la chose est risquée; prenez l’initiative d’amorcer des conversations avec vos enfants, et qu’ainsi nous soyons toutes et tous mieux équipés pour lutter contre les inégalités dans notre monde.
Note : Les versions françaises de ces deux ouvrages n’existent malheureusement pas encore. Dans la même veine, je vous conseille le livre Nos boucles naturelles, traduction de « Hair Love » de Matthew A. Cherry, illustré par Vashti Harrison, ainsi que le livre de Peter H. Reynolds, Toi « Sois fou, original, surprenant, unique, étrange et coloré. Accepte d’être différent. Sois simplement toi. »