Le 28 juillet 2020, Shaun Fryday (président de l’Équipe dirigeante justice et implication communautaire et pasteur de la Beaconsfield United Church) et David-Roger Gagnon (membre du personnel du Conseil régional responsable des réseaux et regroupements) ont fait un pèlerinage au monument commémoratif dédié au Grand Dérangement de l’Acadie au Parc des Cultures à Saint-Jacques, Québec.
David-Roger partage ici quelques réflexions sur l’histoire et l’implication de l’Église Unie du Canada dans l’élaboration de ressources et de moments symboliques de commémoration et de réconciliation autour de cet événement tragique de l’histoire canadienne…
Depuis 2005, le 28 juillet constitue pour le Canada une journée de réflexion sur une tragédie qui a marqué l’histoire du pays, celle du Grand Dérangement de l’Acadie, ou la déportation des Acadiens. Au premier abord, cet événement ne semble pas concerner l’Église Unie du Canada. Or, cette dernière a dans les faits joué un rôle important dans l’établissement d’un processus de dialogue qui a mené à la mise en place des cérémonies de commémoration annuelles soulignant cet événement.
Depuis 2004, année du 400e anniversaire de la fondation de l’Acadie, un partenariat entre les membres de la Covenantor Church à Grand Pré, l’ancien Synode des Maritimes et l’ancienne Unité des ministères en français a permis d’initier un dialogue dans les Maritimes auquel ont participé les communautés mi’kmaq, malécites, passamaquoddys, métisses, acadiennes et anglophones. Ce dialogue, mené dans un esprit de réconciliation et de relations justes, a ouvert la voie à des cérémonies de commémoration, d’abord à Grand Pré, et éventuellement dans toutes les provinces atlantiques, pour marquer le Jour du souvenir.
La première année que ces commémorations ont eu lieu, la communauté mi’kmaq a tenu des cérémonies traditionnelles, auxquelles, sous leur gouverne, nous avons participé. Ces cérémonies visaient à souligner les liens qui ont été tissés entre les Premières Nations, les Métis et les Acadiens dans les premiers temps de leur cohabitation. La United Church of Christ (USA) a envoyé une délégation de la Louisiane, de même que des élus, et plusieurs autres Églises ont aussi participé à l’événement. D’un bout à l’autre du Canada, aux É.-U. et même en Europe, des gens allument des bougies commémoratives pour marquer cette journée, faisant rayonner la Lumière d’espoir et de guérison. L’objectif de cette démarche est de se souvenir de ce qui s’est passé jadis pour vivre aujourd’hui des relations justes. Dans les années qui ont suivi, la lieutenante-gouverneure de la Nouvelle-Écosse alors en poste, Mayanne Francis, a participé aux événements, tout comme la Jewish Association of the Atlantic, et les associations de la communauté noire de la Nouvelle-Écosse, ainsi que nombre d’autres associations regroupant des gens qui ont vécu l’expérience du déplacement et du nettoyage ethnique. L’Église Unie a conçu une ressource intitulée Lumière d’espoir et de guérison, dans le but de sensibiliser et d’informer le public sur l’importance de cette Journée du souvenir et du processus de dialogue menant à la réconciliation et à des relations justes.
Pour ceux et celles qui ne connaissent pas ce chapitre de notre histoire, voici ce qui s’est passé le 28 juillet 1755. Le gouverneur de la Nouvelle-Écosse, Charles Lawrence, a signé un décret ordonnant la déportation de tous les hommes, femmes et enfants vivant dans les communautés acadiennes, ainsi que la destruction de tous les bâtiments et la confiscation de tous les biens amovibles et du bétail. Sachant que ses propres troupes ne feraient pas cette besogne, les Acadiens étant leurs voisins, il sollicita l’aide du gouverneur du Massachusetts, William Shirley, pour que celui-ci expédie ses troupes du Massachusetts occidental pour accomplir le nettoyage ethnique. Des 12 000 Acadiens et Acadiennes qui figuraient au registre (et les 1 000 de plus qui, selon les estimations, ne figuraient pas au registre), tous et toutes ont été déportés, à l’exception de 150 personnes. Les membres d’une même famille étaient forcés à bord de différents navires et expédiés dans des destinations différentes. Nombreux sont ceux et celles qui n’ont plus jamais revu leurs proches. Environ 4 000 d’entre eux ont péri durant les déplacements, de maladies ou dans des naufrages. Plusieurs centaines ont été vendus comme esclaves dans les Carolines, et nombre d’entre eux ont été déportés en Nouvelle-Angleterre, dans les colonies du Sud, en Europe ou dans les Caraïbes. Certaines populations ont connu la déportation à plusieurs reprises dans le cadre du nettoyage ethnique, un fléau qui a déferlé sur toute la région atlantique entre 1755 et 1760. Des mercenaires britanniques ont été envoyés pour traquer et tuer tous les Acadiens qui étaient cachés et protégés par leurs amis des Premières Nations. Nombre de communautés autochtones qui ont accueilli ces réfugiés l’ont payé chèrement et ont subi de terribles exactions allant même jusqu’à des exécutions. Les 150 Acadiens qui sont demeurés en Acadie ont été emprisonnés et forcés à travailler au maintien et à la réparation du réseau de digues que leurs populations avaient construit. C’est grâce à ces digues qu’une partie de l’Acadie est devenue l’une des régions agricoles les plus fertiles de toute l’Amérique du Nord orientale. Ce grand dérangement a aussi mis fin à l’un des traités de paix les plus durables entre les Premières Nations et les Européens, un traité entre les Mi’kmaq et les Acadiens qui a perduré pendant 150 ans.
Quel est le lien entre ces événements historiques et l’Église Unie, au-delà du fait que certaines de nos églises sont situées aujourd’hui sur des terres qu’occupaient jadis des Acadiens et des Acadiennes, dans la région atlantique? Il existe un lien direct entre cet événement et le Conseil régional Nakonha:ka, puisque plusieurs centaines de familles déportées se sont réinstallées au Québec, lequel en ce temps faisant encore partie de la Nouvelle-France. Selon les estimations, cet apport démographique acadien au Québec a fait en sorte que près du tiers de la population québécoise d’aujourd’hui est de souche acadienne. De plus, certaines familles déportées ont abouti dans la région de Lanaudière, où elles ont amorcé la reconstruction d’une Nouvelle-Acadie. Les communautés de Saint-Jacques, Sainte-Marie-Salomé, Saint-Liguori et Saint-Alexis forment ce qu’on appelle encore aujourd’hui la Nouvelle-Acadie. Il y a donc une part de l’Acadie qui vit au cœur du territoire du Conseil régional Nakonha:ka, et les résidentes et résidents de ces quatre communautés forment la plus grande concentration de descendantes et de descendants dans tout le Québec. Chaque année, ces gens célèbrent la Journée nationale acadienne (le 15 août) avec le Festival de la Nouvelle-Acadie. Nous espérions cette année lancer la tradition des cérémonies dans le cadre de cet événement pour marquer le 28 juillet, mais en raison de la Covid-19, nous devons remettre ce projet à l’an prochain.
Ce chapitre moins connu de l’histoire du Canada nous enseigne que les effets et les conséquences du nettoyage ethnique sont de longue durée, de grande portée et profondément destructeurs. Les cicatrices du Grand Dérangement se manifestent encore, sous la forme de la marginalisation des populations acadiennes dans plusieurs régions du pays. Toutefois, l’histoire du Grand Dérangement en est une aussi de profonde résilience et de persévérance. Les 10 000 Acadiens et Acadiennes qui ont survécu ont engendré une descendance qui, selon les estimations, se chiffre à trois millions, des gens qui proclament fièrement leurs origines acadiennes. Et pour citer Antonine Maillet dans son histoire de Pélagie, « Ou’s que je suis, c’est l’Acadie! »
Si vous souhaitez en savoir davantage sur ce chapitre de notre histoire, communiquez avec les Ministères en français pour plus d’information sur la ressource Lumière d’espoir et de guérison. Vous pouvez également visiter le monument commémoratif et le parc des Cultures du village de Saint-Jacques, situés derrière la grande église, au cœur du village. Ce beau site, qui rend hommage à la tragédie du Grand Dérangement, souligne la résilience des familles qui ont construit leur Nouvelle-Acadie à quelques kilomètres de là. Aussi, souhaiterez-vous peut-être dorénavant allumer une bougie le 28 juillet, chaque année, en commémoration de ces événements et pour souligner votre solidarité avec les Acadiens et les Acadiennes, en signe d’espoir et de guérison.
« Acadie, ma patrie, à ton nom je me lie. » (tiré de l’hymne national acadien)
Pour en savoir plus, veuillez communiquer avec David-Roger Gagnon.