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Depuis quelques années, l’Église Unie a entamé plusieurs recherches auprès de la population francophone au Canada, particulièrement celles et ceux qui n’ont pas d’expérience d’Église ni de communauté de foi. Il y a plusieurs choses que nous avons apprises.

Premièrement, la génération de la Révolution tranquille (55 ans et plus), détient toujours un sentiment négatif auprès de l’Église catholique romaine. D’autant plus qu’elle ne connait pas la tradition protestante et encore moins l’Église Unie. Quand nous leur parlons d’une église où les pasteurs peuvent se marier, avoir des enfants, être femme ou même LGBTQ, ils nous disent que c’est impossible de l’imaginer. Une église qui est démocratique, avec une théologie dynamique qui n’impose pas une seule façon de croire… il ne peuvent pas croire que ça existe.

La génération suivante (entre 35 et 55 ans), détient des échos de la Révolution tranquille, tiennent leur distance face à la foi en raison de la réaction de leurs parents et de ce qu’ils voient dans les médias au sujet de l’attitude fermée de l’Église – surtout en réponse aux églises fondamentalistes avec un dogme rigide et imposé.

La plus jeune génération (entre 18 et 34 ans) n’a aucune idée de ce qui se passe dans une communauté de foi, mais détiennent une faim spirituelle qui n’est pas rassasiée, et sont à la recherche. Ils n’ont plus le langage ni les images chrétiennes au bout des doigts.

Alors, quoi faire avec cette société québécoise en transformation? Qu’est-ce que notre foi nous dit face à ça?

Les églises qui font preuve d’ouverture ont un rôle particulier à jouer dans ce contexte. Il est essentiel de ne pas laisser l’image de la chrétienté être dominé par un conservatisme et un dogme insecouable. La foi n’est pas la certitude ni une liste complète de croyances nécessaire pour qualifier à un standard établi par qui? Le premier conseil de Nicée célébrera son 1700e anniversaire l’année prochaine. Le moment de l’histoire chrétienne que l’empereur Constantin ne voulait plus tolérer la grande diversité chrétienne, et ça pour des raisons politiques. La réforme arrivera plus d’un siècle plus tard pour apporter un peu de diversité à l’expression de la foi chrétienne.

Quand nous regardons les différents textes qui ont été retenus par Saint-Jérôme pour compléter la Bible que nous utilisons aujourd’hui, ils ont tout fait pour éviter des contradictions, mais même là, nous nous retrouvons avec quatre évangiles, deux histoires de la création un à côté de l’autre, deux formulations des dix commandements, et plusieurs contradictions (ou bien disons ‘débats’?) entre Paul et l’ensemble des apôtres du temps. Notre texte sacré, par son existence même, défend une diversité théologique et avance une interprétation loin du fondamentalisme ou d’un dogme indiscutable.

Pouvons-nous, en tant qu’Église protestante, célébrer cet aspect de notre foi, et s’en servir pour évangéliser? Pouvons-nous lutter contre la certitude dans la religion pour offrir de la place à la foi, au mystère, à la révélation? Je suis convaincu que nous pouvons, et nous devons, libérer la foi du contrôle humain et de l’asphyxie que nous imposons. C’est notre égo qui parle quand nous voulons imposer une seule réponse à la révélation divine. Dieu ne nous a jamais demandé d’imposer notre interprétation sur les autres. Mais, nous sommes encouragés de partager la Bonne Nouvelle, d’offrir de l’espace pour que Dieu puisse intervenir dans nos vies et dans la vie des autres. Nos églises doivent créer de la place pour que l’Esprit puisse faire son travail sans essayer de le dominer.

Il n’est pas simplement un hasard que Jésus envoie ses apôtres deux par deux. Une personne seule pourrait facilement répondre aux questions avec leur propre perspective sur la question et il serait facile d’imaginer que nous partageons une seule vérité. Mais à deux, il y a discussion, il y a une autre perspective à offrir. Cela permet un dialogue plutôt qu’une simple transmission d’une idée simple et parfaite. Le Christ a confiance que c’est dans le dialogue que la Bonne Nouvelle se transmettra. N’oublions pas Matthieu 18, verset 20… quand deux ou trois sont rassemblées en mon nom… je suis là.

Notre foi est loin d’être une simple façon de voir les choses. Nous baignons dans le mystère, dans le discernement, dans l’inconnu. C’est pour ça que nous vivons notre foi en communauté… parce que cet échange nous transforme. Même les moines qui se cloitrent le font en groupe. Notre foi est relationnelle en partant… et la raison me semble évidente. Ça nous permet de ne pas rester figer sur nos propres idées et notre égo. L’humilité face à la foi n’est pas possible quand nous sommes tout seuls… on aura toujours raison!

Quand nous voyons comment la chrétienté a été reçue dans différentes cultures dans le monde entier, plusieurs différentes couleurs se sont manifestées. Les peuples autochtones du Canada ont enrichi notre compréhension de la foi chrétienne avec leur sagesse et leur interprétation. Les cultures africaines ont apporté leurs perspectives culturelles et dynamiques particulières. La foi chrétienne dans la communauté latino-américaine est nourrie d’une approche liée à son expérience et la révélation unique de son milieu. Et c’est merveilleux. Imposer une seule façon d’entrer dans la foi et de comprendre nos Écritures saintes serait de nous priver d’une richesse essentielle à la nature de la création – dynamique, diverse, évolutive et interdépendante.

L’Église Unie, lors de sa formation en 1925, a su se doter d’une déclaration de foi pour unir les différentes confessions qui se sont unies. En 1940, une série d’articles de foi ont été énoncés. En 1960, une nouvelle confession de foi à été ajouté à l’ensemble, suivi en 2002 par la poésie de Notre foi chante. Ces déclarations de foi n’ont jamais été formulées pour remplacer les autres. Chacun nous offre une perspective différente sur la foi et personne n’est obligé de tenir à tous ces éléments pour être membre de l’Église Unie. Nous avons déjà cette approche ouverte au sein de notre ADN. Et cela nous offre la possibilité de transformation dans nos paroisses. Dans une culture de plus en plus partisane ou le public se retrouve dans leurs propres « bulles de pensées », il sera encore plus important que nous trouvons des moyens d’écouter les autres qui n’ont pas précisément la même perspective que nous. C’est un antidote à l’extrémisme.

Il est temps d’évangéliser l’ouverture, le dialogue et la découverte de la foi chrétienne.

Une autre leçon de notre recherche, c’est de ne pas avoir peur de parler de la foi. Nous vivons, depuis des décennies, avec la peur de parler de la foi pour ne pas être perçu comme quelqu’un qui veut imposer sa perspective sur l’autre. Nous ne voulons pas être perçues comme ceux et celles qui se présentent comme réactionnaires et ultraconservatrices comme nous voyons aux États-Unis qui veulent dominer et contrôler. Cette peur d’être mal-compris est profonde. Elle nous empêche de partager notre foi.

Dans le sondage Léger complété en 2019, les francophones du Québec ont confirmé, à plus de 60%, de ne jamais parler de spiritualité ni de religion avec qui que ce soit.

Dans Matthieu 10, verset 22, Jésus nous dit « Tout le monde vous détestera à cause de moi »… mais nous ne sommes pas détestés à cause du Christ dans ce cas-ci, nous sommes détestés en raison des actions de ceux et celles qui ont mal agi en son nom. L’évangélisation de nos jours et dans notre contexte nous exige de démanteler une foi réductrice qui a été véhiculé par certains. Une déconstruction pour reconstruire sera essentielle si nous voulons parler avec une grande tranche de la population francophone.

Cette déconstruction ne doit pas se faire en dénonçant les autres confessions… mais plutôt en offrant une diversité chrétienne qui offrira une porte d’entrée appropriée à la personne en partant de son contexte.

Lors des groupes de recherche (focus groups) que nous avons faits ce printemps auprès des 18 à 34 ans, ils ont été très motivés d’entendre que les églises luttaient pour la justice sociale, raciale et identitaire. Les participants n’imaginaient pas que cela forme une partie importante de la foi. Quand ils ont appris que dans certaines églises les femmes pouvaient être pasteure, les décisions pouvaient être prises de manière démocratique, ou qu’ils avaient eu beaucoup de changements au sujet de l’inclusion LGBTQ, nous avons commencer à faire comprendre que l’offre chrétien n’est pas une porte d’entrée à un appartement studio, mais plutôt une grande maison avec plusieurs chambres.

Ce n’est pas pour insulter nos cousins dans la foi ni pour enlever leur contribution importante, mais de permettre aux croyants potentiels qui font face à des empêchements qui peuvent les éloigner de la foi, de savoir que cet empêchement n’est pas présent dans toutes les confessions chrétiennes.

Même au sein de l’Église Unie, dans deux des trois conseils régionaux que je dessers, nous sommes en train d’imaginer l’expérience de l’Église d’une perspective régionale plutôt que simplement dans une paroisse. Nous avons constaté que la porte d’entrée pour certains ne sera pas la même porte d’entrée pour d’autres. Il y en a qui vont entendre la voix de Dieu avec les oreilles et auront besoin d’un ministère approfondi dans la musique. Pour d’autres, le côté rationnel est priorisé et l’étude biblique, les discussions de groupes seront le point d’entrée important. Et pour d’autres encore, la programmation pour les jeunes, ou un style de culte méditatif, ou une expression profonde de militantisme pour la justice sera important.

Exiger que nos paroisses fassent tout cela, et qu’elles le fassent très bien n’est simplement pas possible. Alors, pourquoi ne pas offrir des centres d’excellence. Si votre point d’entrée est la contemplation, vous trouverez ça à cette paroisse. Si c’est un groupe de lecture, allez ici. Nous sommes en train de revoir notre offre en lien avec notre capacité de répondre aux besoins spirituels du public. Ce qui veut dire un grand changement de culture… Si quelqu’un arrive dans une paroisse et la personne qui les accueille découvre que la paroisse dans l’arrondissement voisin serait plus alignée avec ce que la personne cherche, nous ne tentons pas de la garder pour nous même. Nous mettons le besoin de la personne devant notre besoin de remplir nos propres bancs d’église. Cela exige aussi que nous ayons confiance que la paroisse voisinant fera la même chose si nous avons une spécialisation qu’elle n’a pas.

Le premier livre des corinthiens… chapitre 12… l’œil ne peut pas être la main. Et si une partie du corps souffre, l’ensemble en souffrira. C’est justement ce qui se passe dans une culture séculaire où nos communautés de foi se sentent en voie de disparaitre. Elles ont peur, elles sont inquiètes, et elles ne voient plus leur contribution à l’ensemble du corps du Christ. Et lorsque les médias et la culture présenteront uniquement une façon de voir la chrétienté, nous en souffrirons toujours.

Alors, quoi faire dans notre culture pour répandre la foi chrétienne?

Il est essentiel que nous trouvions la manière de parler à ce contexte qui enlève les barrières. J’aime bien l’exemple que nous offre Paul, un de nos grands modèles évangéliste, dans le 17e chapitre du livre des Actes des apôtres. Pendant sa visite de la ville d’Athènes, il prononce un discours à l’Aréopage. Il réussit de trouver le langage de cette culture pour leur parler de Dieu en prenant un des monuments grecs – un autel au dieu inconnu – pour leur parler de l’évangile. « Ce que vous adorez sans le connaitre, je viens vous l’annoncer. » (verset 23).

Si nous croyons véritablement que Dieu est à l’œuvre partout dans le monde et pas seulement auprès de nous comme chrétiens, nous pouvons d’abord trouver les exemples autour de nous et de faire comme Paul. Il s’agit d’une façon de parler de notre foi qui n’est pas réduite à un dogme particulier auquel une personne sera obligée d’y adhéré. Il s’agit de partager notre témoignage de la manière que Dieu opère dans notre monde. D’aider une personne de voir ce qui se passe à côté de l’ordinaire.

Moïse se retrouve sur un chemin très ordinaire quand Dieu lui parle dans le buisson en feu. Ce que j’aime de cette histoire du troisième chapitre d’Exode, c’est le fait que Moïse est obligé de se virer de côté, hors de sa route, pour constater la présence de Dieu. Sa rencontre oblige une décision de sa part de voir quelque chose qui n’aurait pas vu sans avoir regardé une petite place un peu à part. Il est parfois difficile pour nous, même en tant que chrétiens, de s’arrêter et de remarquer la présence de Dieu… alors pour quelqu’un qui n’est pas encore rendu là dans sa foi, il est presque impossible.

Si nous pouvons parler de notre foi avec simplicité, partageant notre propre témoignage, sans imposer de dogme rigide, et en laissant l’Esprit saint faire son travail dans le cœur de la personne que nous rencontrons, je suis de plus en plus convaincu que nous trouverons le moyen d’évangéliser dans notre contexte sans faire fuir la multitude. Il y a une faim spirituelle à laquelle nous sommes appelés à nourrir les affamés. Je crois qu’un buffet nous servira mieux qu’un menu restreint.


Éric Hébert-Daly, pasteur et ministre exécutif régional de l’Église Unie du Canada
Symposium sur la théologie francophone
1er novembre 2024