La Pentecôte chrétienne commémore le don de l’Esprit Saint aux disciples de Jésus. Elle est fêtée cinquante jours après Pâques qui rappelle la résurrection du maître. Le christianisme naissant, se percevant comme l’aboutissement du judaïsme, s’est approprié deux de ses fêtes fondatrices en leur donnant des significations nouvelles. Ainsi, pour les chrétiens, la sortie de l’esclavage d’Égypte préfigure la victoire du Christ sur la mort, tandis que le don de la Loi au mont Sinaï que souligne la fête de Chavouot (la Pentecôte juive) prépare celui de l’Esprit.
On peut lire au deuxième chapitre du livre des Actes des apôtres le récit de ce don divin : « Quand le jour de la Pentecôte arriva, ils se trouvaient réunis tous ensemble. Tout à coup survint du ciel un bruit comme celui d’un violent coup de vent : la maison où ils se tenaient en fut toute remplie; alors leur apparurent comme des langues de feu qui se partageaient et il s’en posa sur chacun d’eux. Ils furent tous remplis d’Esprit Saint et se mirent à parler d’autres langues, comme l’Esprit leur donnait de s’exprimer. » Chavouot étant une fête de pèlerinage, des Juifs de la diaspora s’exprimant en diverses langues étaient venus à Jérusalem pour l’occasion. On voit donc dans ces langues de feu le symbole de la puissance spirituelle dont Dieu investit les apôtres pour annoncer à toutes les nations la Bonne Nouvelle de son Amour.
Le livre des Actes des apôtres a été écrit plus de quarante ans après la mort de Jésus. Il déploie sous la forme de récits et de discours une théologie en continuité avec celle des épîtres de Paul qui circulaient déjà parmi les communautés chrétiennes. Son auteur rapporte certains événements, mais non comme le feraient des observateurs modernes soucieux de l’exactitude des faits. Il s’agit avant tout pour lui de rendre compte de l’expérience spirituelle de ceux et celles qui, les premiers, ont marché à la suite de Jésus et qui ont été aussi profondément touchés par ses paroles et ses actes qu’ils furent traumatisés par son décès.
La mort atroce du maître crucifié avait plongé les disciples dans un deuil dont la souffrance était amplifiée par la stupeur qu’inspirait la cruauté du châtiment et la terreur qu’il s’abatte aussi sur eux. Alors, comment ont-ils trouvé la force d’annoncer le Royaume de Dieu? La lumière qui transforme les disciples apeurés en prédicateurs courageux serait-elle la découverte, à travers le réconfort et la bienveillance qu’ils se témoignent mutuellement, de la présence spirituelle Jésus, comme il leur avait promis : « Car là où deux ou trois se trouvent réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux »? En se rappelant les paroles du maître et en prenant conscience qu’ils sont animés par un amour qui s’inspire du sien, les disciples acquièrent la conviction qu’il est toujours avec eux. Cela les remplit de la puissance de son Esprit.
Les premiers disciples ont pu croire que Dieu avait vaincu la mort parce qu’ils ont reconnu dans le don de la vie de Jésus l’Incarnation du plus grand Amour, celui de Dieu. Le récit de la Pentecôte est une histoire d’amour, ce qu’est fondamentalement la spiritualité chrétienne. Les disciples étaient habités par l’amour de Jésus qu’ils avaient connu et aimé. Ils ont vécu ce que toute personne endeuillée ressent : ils ont porté en eux l’être aimé disparu, mais avec l’intensité provenant de leur proximité avec un maître qui a incarné de façon unique la transcendance divine.
Le récit chrétien de la Pentecôte nous apprend qu’une émotion renversante comme un grand coup de vent est à l’origine du christianisme. La bourrasque et les langues de feu ne sont-elles pas une façon imagée d’exprimer le bouleversement des disciples non seulement devant la perte du maître mais aussi face au défi immense que représentait la mission reçue de lui? Alors que le don de la Loi au Sinaï a précédé la conquête militaire de la « Terre promise », Jésus invite ses disciples à gagner les cœurs des femmes et des hommes de toutes les nations par l’annonce de la Bonne Nouvelle de l’Amour universel de Dieu.
Par son enseignement, sa spiritualité et sa vie entière, Jésus a démontré l’excellence d’un rapport à la transcendance fondé, non sur le respect d’une Loi divine, mais sur la conviction que cette Loi trouve son achèvement dans l’idée que Dieu aime également tous les humains sans égard à leur sexe et à leur appartenance religieuse ou nationale. En résumant la Loi par le commandement de l’amour (« aime Dieu de tout son cœur et de toute sa force », « aime ton prochain comme soi-même », les deux étant semblables d’après Mt 22,37-39), Jésus rappelait à ses compatriotes que le culte qui plaît à Dieu ne consiste pas à se conformer aux prescriptions de la Loi, mais bien à l’adorer en esprit et en vérité, ce qui appelle aussi une universalisation de l’amour. C’est ce que les premiers disciples ont compris et ce qu’exprime le récit chrétien du don de l’Esprit à la Pentecôte.
Ce récit invite donc ceux et celles qui se réclament de Jésus à se questionner sur ce qui fonde leur rapport à la transcendance divine. Depuis Paul, la tradition chrétienne enseigne que ce rapport s’actualise par l’amour, la foi et l’espérance : les vertus théologales qui ne nous relient à Dieu qu’en nous liant également aux prochains de partout et de toujours. Or, ces vertus sont mises à mal à notre époque où la « Terre promise » est devenu l’enfer sur Terre du peuple palestinien, où les avancées numériques ont pour effet de brouiller la frontière entre le vrai et le faux et où les ambitions conquérantes des autocrates désinhibés et des milliardaires capitalistes assombrissent les perspectives d’avenir de l’humanité entière.
Roger Boisvert, théologien
Québec, le 2 juin 2025
Commentaires récents